Mon interview parue dans le Journal de l’île à l’arrivée de Dacian Ciolos à la Réunion

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À Mayotte depuis ce week-end, Younous Omarjee accompagnera Dacian Ciolos, le commissaire à l’agriculture, tout au long de son séjour dans l’île. Le député européen comprend l’inquiétude des agriculteurs réunionnais

 

Le Parlement européen, la Commission et les États membres viennent de se mettre d’accord sur les grandes lignes de la future politique agricole commune (PAC) sur la période 2014-2020. Quelles seront les conséquences de ce nouveau paquet agricole sur les régions ultrapériphériques ?

Younous Omarjee : “Les impacts financiers, et notamment la réduction progressive des aides, seront limités pour les RUP grâce à l’existence du POSEI (Programme d’Option Spécifique à l’Éloignement et à l’Insularité). Ce programme qui prévoit des financements supplémentaires à la production, à la transformation et à la commercialisation des produits agricoles des RUP représente pour nos régions une aide essentielle et adaptée aux spécificités locales, puisqu’il vise à faire face aux surcoûts liés à l’approvisionnement et à l’activité agricole dans les RUP.

Mais dans cette nouvelle réforme, ce qui nous inquiète le plus, c’est la fin des quotas sucriers dès 2017. Le sursis que le Parlement européen avait demandé jusqu’à 2020 s’est trouvé mis à mal par l’intransigeance de la Commission européenne et des chefs d’État. Le temps n’est plus aux regrets, mais à l’évaluation de ce que cette réforme entraînera pour les planteurs et notre filière canne-sucre.

 

L’accord prévoit une meilleure ventilation des enveloppes financières entre les grands groupes et les petits agriculteurs. Comment cette répartition des fonds s’opérera-t-elle sur le terrain ?

La nouvelle réforme de la PAC prévoit effectivement plus d’équité entre les différents types d’agriculteurs dans la répartition des fonds et un soutien particulier aux petits et aux jeunes agriculteurs. Elle s’écartera aussi progressivement d’un système de répartition des fonds par références historiques, et aboutira à plus de convergence dans les paiements. Le but étant que chaque agriculteur reçoive d’ici 2019 au moins 60% de la moyenne nationale-régionale. Mais cette réforme n’est pas aussi révolutionnaire que ce que l’on peut entendre, car concernant le plafonnement des aides, seule une dégressivité limitée à 5% a été retenue pour les exploitations qui touchent plus de 150 000 euros annuellement.

Cependant ces dispositions ne s’appliqueront pas de façon mécanique et sur tous les points chez nous. Car une très grande partie de nos paiements directs sont régis par dérogation à la PAC par le POSEI. Le débat public voulu par le commissaire devrait évaluer la possibilité ou non d’intégrer certaines des nouvelles règles de la PAC, dans le POSEI, quand celles-ci peuvent être positives pour le développement de l’agriculture chez nous. Mais il est clair que nous refuserons fermement toute mesure visant à appliquer aux RUP le découplage des aides et la remise en cause des enveloppes.

 

Les milieux agricoles s’inquiètent justement de la révision du Posei, un programme européen en vigueur depuis 1989 et qui profite essentiellement aujourd’hui aux grandes cultures. Leurs craintes sont-elles justifiées ?

L’annonce en début d’année par Monsieur Dacian Ciolos de vouloir procéder d’ici fin 2013 à une réforme en profondeur du POSEI avait soulevé de nombreuses inquiétudes, notamment quant à l’éventualité d’une suppression totale du POSEI par son intégration dans la PAC. La mobilisation des élus et des acteurs agricoles des RUP ont conduit le commissaire Ciolos à clarifier ses intentions. Je ne suis pas de ceux qui sont ancrés sur des statu quo devenus intenables car tout bon programme peut toujours être encore amélioré. Mais cette réforme du POSEI doit se faire, et c’est à mon sens un préalable, dans le respect de ce qui fonde l’esprit même du POSEI : l’article 349.

Trente ans furent nécessaires pour l’émergence et l’affirmation du concept de l’ultrapériphicité au sein de la Communauté européenne. Si nous laissions demain, sans réagir, ce programme POSEI disparaître, au-delà même de lâcher notre agriculture et nos agriculteurs, c’est toutes les mesures spécifiques qui nous sont reconnues par l’UE que nous laisserions mourir avec. Je suis donc pleinement solidaire des inquiétudes des agriculteurs.

 

Le gouvernement veut favoriser les cultures de diversification, les grandes cultures d’exportation comme la canne et la banane veulent conserver leurs subventions. Quel est votre point de vue ?

Il n’est pas juste de présenter les choses de manière si binaire. Cela ne correspond pas à la réalité qui est un peu plus complexe. La réalité, pour la Réunion, est que l’objectif en matière de diversification va de pair avec la consolidation de la filière canne-sucre. Il y a à la Réunion une très grande complémentarité entre les filières. À la Réunion, derrière la canne, ce sont de petits planteurs que nous avons. Et non pas comme on le pense parfois dans les bureaux à Bruxelles, de gros producteurs sur de très grandes exploitations. Le monde agricole est un monde solidaire avant tout. Et bien que des désaccords existent, je crois que les agriculteurs les premiers n’aiment pas quand on leur propose de déshabiller Jacques pour habiller Pierre. En opposant les uns aux autres, on ne contribuera qu’au déclin de toute l’agriculture, et personne ne le souhaite. Je veux qu’en outre-mer nous puissions continuer à exporter certaines de nos productions et aussi à produire plus pour notre propre marché intérieur. Je ne choisis pas l’un plutôt que l’autre, je les vois comme complémentaires, parce que tous les deux sont vecteurs d’emplois et d’économies d’échelle.

 

Les présidents des régions ultrapériphériques ont présenté à Bruxelles leur plan d’actions pour la période 2014-2020. Les départements d’outre-mer sont partisans d’une interprétation audacieuse de l’article 349 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. La Commission considère, au contraire, que les RUP doivent élaborer leurs stratégies et leurs projets dans le cadre des politiques déclinées à l’échelle européenne. Quel est le compromis possible sur ces questions ?

Tout d’abord les plans qui ont été rendus sont des plans d’actions RUP par RUP. Il faut être particulièrement naïf pour considérer cela comme une grande avancée. C’est peut-être le point de départs de grands reculs. Il faut faire très attention à ce que ces plans d’actions territorialisés ne contribuent au final qu’à fragiliser l’unité des RUP, qui jusque-là faisait notre force commune. Et à affaiblir la bataille pour le renforcement de la mise en œuvre de l’article 349 comme l’a aussi souligné le président de la Région Martinique, Serge Letchimy. Ces plans d’actions ont été présentés à Bruxelles au commissaire Hahn. Ce dernier a dans son portefeuille la responsabilité de la conduite des fonds structurels. Mais il n’en a aucune pour tout ce qui est de la politique commerciale extérieure de l’UE, de l’agriculture, de la pêche, de la recherche, du marché intérieur… Par cette méconnaissance du fonctionnement de la Commission européenne et des responsabilités propres à chaque commissaire, je crains que chaque président de RUP, désormais pris isolément, ait bien du mal à faire valoir auprès des 26 autres commissaires sa stratégie personnelle pour sa propre petite île. J’ai peur de facto que ces plans d’actions, n’aient pas l’effet escompté. C’est dommage car ce qui pourrait s’avérer être de bonnes initiatives fini par jouer contre nous quand le travail est fait à moitié.

 

Début juillet le Parlement européen a enfin validé le budget européen pour les six prochaines années. Le plus dur est fait ?

Le Parlement européen devra se prononcer formellement sur le futur budget européen pour la période 2014-2020 d’ici octobre ou novembre, quand l’ensemble des commissions parlementaires se seront elles-mêmes prononcées. Ce n’est donc pas fini, et le plus dur reste à venir, car en parallèle de ce cadre budgétaire c’est aussi tous les grands fonds européens et leurs règles de fonctionnement qui devront passer devant la plénière (PAC, fonds structurels, PCP, recherche,…). Pour nos régions, le travail que nous avons mené au Parlement européen et la mobilisation du ministre des Outre-mer et du Président de la République au Conseil européen permettent d’aboutir à ce que nos régions ne perdent pas un seul euro dans la prochaine programmation, puisque globalement nos dotations seront reconduites, voire augmenteront légèrement. Quand on sait que des régions en crise, portugaises, espagnoles ou grecques verront-elles leurs crédits parfois baisser de plus de 20%, on peut estimer que l’on est sauf.

Reste la question de la discrimination faite dans le budget à l’égard de Mayotte. Puisqu’il lui est attribué une dotation forfaitaire de 200 millions sur 7 ans quand l’application des critères au même titre que les autres régions lui aurait permis d’en obtenir le double. La bataille pour que Mayotte soit rétablie dans ses droits est difficile et le plus dur reste à faire c’est-à-dire obtenir la suppression dans le budget de cette disposition qui consacre l’inégalité de traitement de Mayotte.”

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