J’ai donné cette interview aux cahiers de l’Administration, il y a plusieurs mois. Si certaines questions évoquées ont depuis connu quelques évolutions, l’interview retrace bien l’action menée au cours de cette dernière année dominée par les négociations sur de nombreux Fonds qui concernent directement les Régions Ultrapériphériques. J’espère qu’elle permettra à chacun d’entre vous de mieux appréhender les combats que j’ai mené pour sauvegarder, autant que possible, les intérêts de nos régions en Europe.
1) Monsieur Omarjee, La Commission développement régional du Parlement européen a adopté les acquis obtenus pour les régions ultrapériphériques (RUP) dans les futurs fonds structurels négociés par l’équipe de négociation du Parlement européen dont vous faites partie. En préambule, pouvez-vous, de manière générique, souligner l’importance de ce soutien de l’Europe vers les territoires ultramarins en termes d’investissements et d’emplois ?
Younous Omarjee : Ces décisions témoignent de l’importance que revêt le soutien que le Parlement européen exprime aux Régions Ultrapériphériques. Ce soutien n’est pour autant jamais acquis, c’est une confiance qui se gagne au quotidien. Au Parlement européen rien n’est jamais simple, il nous faut composer avec 764 Députés, 28 nationalités, 7 groupes politiques. Il fallait faire en sorte que le plus grand nombre possible de nos collègues Députés des autres États Membres prenne conscience et soit sensibilisé aux difficultés, besoins et spécificités des RUP. En 2009, nous avons créé une Conférence des Députés des RUP au Parlement européen qui réunit les huit Députés européens ultramarins, français, espagnols et portugais. Nous avons décidé de dépasser nos appartenances politiques propres et de nous réunir régulièrement afin de trouver à chaque moment les meilleurs moyens d’agir collectivement pour la défense des RUP. Cette unité et l’assiduité de la plupart d’entre nous ont permis à ce que les RUP soient défendues et soutenues par le Parlement européen, mais aussi face à la Commission européenne et au Conseil européen. Car une fois les Députés convaincus, il reste encore 28 gouvernements et la Commission européenne à convaincre. Ce soutien important qui a été accordé aux RUP était crucial pour l’investissement et l’emploi. La politique de cohésion est, avec la Politique Agricole Commune, la politique européenne la plus importante pour nous puisqu’elle permet aux Outremers de bénéficier de fonds importants qui contribuent activement à leur développement. Ces fonds représentaient 3,17 milliards d’euros pour l’ensemble des DOM français pour la période 2007-2013. Nous savons aujourd’hui que ces budgets, pour chacune de nos régions, ne baisseront pas pour chacune de nos régions pour la période 2014-2020. Et dans un contexte où les crédits pour les régions grecques ou portugaises sont en baisse, ce soutien aux RUP n’est pas anodin. Le combat que nous avons mené pour l’investissement et l’emploi pour les régions ultramarines ne s’est pas non plus limité à sauver les acquis. Nous avons obtenu de nouvelles avancées.
Tout d’abord la suppression de la limitation des 150km pour les projets de coopération transfrontalière et territoriale, barrière que d’aucun n’avait réussi à faire lever ces 20 dernières années. Nous avons aussi réussi à négocier que les fonds FEDER soient maintenus pour toutes les entreprises des RUP contrairement à ce qui est prévu pour le reste de l’Union. Sans cette exemption c’est près de 50 millions d’euros que nos entreprises auraient perdu, et nous imaginons bien les conséquences qu’une telle décision aurait eu sur l’emploi et l’investissement. Nous avons négocié la simplification des règles applicables aux aides d’État et aux aides opérationnelles pour les RUP dans la politique de cohésion, ce qui simplifiera les procédures administratives de gestion des fonds européens. Nous avons obtenu des taux de cofinancements plus élevés que pour le reste des régions européennes, le maintien de l’enveloppe spécifique RUP, ainsi que l’inclusion des RUP dans les réseaux transeuropéens de transport et d’énergie. Nous avons aussi obtenu beaucoup d’autres avancées pour les outremers dans le domaine de la pêche, de l’agriculture, de l’environnement, de la lutte contre le chômage des jeunes. Chacune de ces avancées est matériellement importante pour nos régions.
2) Dans ce cadre, comment se sont déroulées les négociations et comment êtes-vous parvenus à préserver ces acquis ? Comment êtes-vous parvenus à convaincre la Commission européenne qui souhaiter diminuer l’enveloppe budgétaire ?
Vous me demandez de révéler les secrets de l’action parlementaire ? C’est un exercice difficile. Si j’ai joué tout mon rôle pour que nos enveloppes ne soient pas diminuées et pour que de nouvelles avancées pour les RUP puissent être obtenues, il serait bien prétentieux d’affirmer que je l’ai fait seul. Le gouvernement français au sein du Conseil, les acteurs socio-économiques des RUP, et de nombreux amis des RUP au sein du Parlement européen, mais aussi à la Commission européenne nous ont aidés et soutenus dès lors qu’ils étaient avertis, briefé et qu’il fallait prendre le relais. De nombreuses négociations différentes se sont déroulées en parallèle les unes des autres et dans un temps à la fois très court et très long. Imaginez, rien que pour les négociations sur la réforme de la politique de cohésion, nous en sommes à notre 53ème réunion de négociation entre le Conseil, le Parlement et la Commission, et à notre 21ème réunion technique. Et il a fallu que nous suivions et trouvions les moyens d’agir sur les négociations sur le cadre financier, sur la politique agricole, sur la politique de la pêche, sur le Fonds Social Européen, etc. Ces résultats sont aussi le fruit d’une somme d’initiatives politiques qui ont été tenues en parallèle, que j’ai initié ou que nous avons conduit collectivement. En tant que coordinateur de la commission développement régional (REGI) du Parlement européen pour mon groupe politique, j’ai essayé de peser autant que possible avec l’appui des collègues de ma commission pour que certains principes soient entendus et défendus. Par exemple, la semaine précédant le sommet des chefs d’État de fin décembre qui devait décider du cadre financier pluriannuel 2014-2020 la Présidente de la Commission REGI, les chefs de file de tous les groupes politiques de la Commission REGI et moi-même avons adressé, à mon initiative, une déclaration commune aux chefs d’État exigeant que les principes fondateurs de la politique de cohésion soient préservés et que les régions les moins développées soient mises à l’abri de toute coupe budgétaire. Le Président du Parlement européen a ensuite pris la relève et est allé au nom de l’ensemble des Députés européens au combat avec le Conseil. Puis pour notre part, nous avons continué à la pression à autant de niveaux que possible, pour affirmer fermement que le Parlement n’approuverait pas une baisse budgétaire pour les régions les moins développées d’Europe. Les affaires européennes sont peu médiatisées, mais c’est une grande bataille qui s’est déroulée à Bruxelles pour s’opposer au Conseil, et se faisant, sauver les principes qui devaient l’être pour le futur budget de l’Union européenne. Je crois que pour la première fois dans l’histoire de l’Union européenne, le Parlement a fait preuve d’un courage exemplaire ; beaucoup de Députés se sont opposés à leur propre majorité gouvernementale pour faire pression. Cela a constitué autant de moments forts et difficilement restituables. Mais nous avons été au front en permanence sans relâche, sur tous les dossiers, sur tous les fonds, sur toutes les négociations. Et nous y sommes à ce jour encore, bien que nous ayons déjà sauvé beaucoup. Parmi les principales batailles que nous avons menées et dans lesquelles j’ai pris toute ma part, je crois retenir les négociations sur le cadre financier pluriannuel, les négociations sur la réforme de la politique de cohésion, le Fonds Européen d’Aide aux plus Démunis, la réforme de la politique agricole commune, et la politique commune de la pêche.
3) Dès lors, quels sont les montants alloués à la Réunion et vers quelles priorités doivent s’orienter ces subventions ?
L’enveloppe globale allouée au titre de la politique de cohésion pour la période 2014-2020, et qui comprend les fonds FEDER et FSE, le fond spécial jeunesse, et l’enveloppe pour la compensation des surcoûts, sera supérieure aux 1,5 milliards d’euros attribués pour la période 2007-2013.Au total, si on additionne tous les fonds, la Réunion devrait bénéficier pour la prochaine période de plus de 2 milliards d’euros. Cependant je dois souligner que j’ai été très déçu dans ces négociations que le sort de Mayotte ait été négligé dans ces négociations par les Chefs d’État européens et par le gouvernement français, malgré tous les courriers et signaux que je leur avais pourtant fait parvenir bien avant l’heure de la décision. Mayotte n’a pas été traitée comme les autres régions européennes et les autres RUP, car c’est une enveloppe forfaitaire de 200 millions d’euros qui lui sera attribué. C’est triste, la France a négligé le sort de Mayotte. Pour l’utilisation de ces fonds les régions seront désormais tenues de diriger leurs fonds vers des objectifs thématiques précis. Faisant partie de la catégorie des régions les moins développées de l’Union européenne, la Réunion devra concentrer 50% de son enveloppe FEDER vers au moins deux des quatre objectifs thématiques suivants : (1) la recherche, le développement technologique, et l’innovation; (2) l’accès aux technologies de l’information et de la communication; (3) la compétitivité des petites et moyennes entreprises; (4) le soutien à la transition vers une économie à faibles émissions de carbone.
4- Plus spécifiquement, quelles sont les orientations prises en faveur de l’insertion des jeunes ? Des aides sont-elles à cet égard prévues pour les entreprises qui feraient un effort de recrutement auprès de ces jeunes générations ?
En janvier 2014 un programme spécifique de l’Union européenne sera mis en place pour lutter contre le chômage des jeunes, la garantie jeunesse, à laquelle les RUP seront éligibles. Cependant je veux insister sur la nécessité d’améliorer dans l’ensemble des outremers français les statistiques qui sont produites par l’INSEE, sans quoi cela pourrait jouer à notre plus grand désavantage, car c’est sur la base de ces statistiques et leur sérieux que la Commission européenne calcule les fonds auxquels nous aurons droit. Et déjà pour Mayotte nous savons qu’il y a un problème, puisqu’Eurostat ne valide pas les statistiques qui ont été envoyés par l’INSEE. Ce qui est très grave et ne peut plus être, plus longtemps, délaissé par l’État. Cette parenthèse fermée, la garantie jeunesse prévoit que pour chaque euro qui sera investi au titre du FSE pour des initiatives et des projets de lutte contre le chômage des jeunes, la Commission européenne ajoutera un second euro supplémentaire pour que d’autres programmes soient poursuivis ou mis en œuvre. Chaque région sera en charge de définir les différentes actions qu’elle souhaitera menée pour favoriser l’emploi des jeunes, la mesure que vous citez en exemple pourrait très bien être prise, c’est aux Présidents de Région qu’appartient désormais la responsabilité de prendre les meilleures mesures possibles pour aider les jeunes. C’est là le principe de subsidiarité qui s’applique, car il y a des régions où une bonne solution peut en constituer une mauvaise dans une autre. Concernant la lutte contre le chômage des jeunes, je veux aussi mettre l’accent sur une décision du Conseil et du Parlement et qui s’apprête à attribuer une enveloppe additionnelle de 83 millions d’euros pour la France, qui serait débloquée pour trois ans de 2013 à 2016. Cette enveloppe doit être destinée à lutter contre le chômage des jeunes principalement. J’ai rappelé dans une tribune publiée récemment que cette enveloppe était attribuée au titre du Fonds Social Européen, et que les principes qui encadrent le FSE veulent que ces fonds aillent prioritairement aux régions françaises les moins développées. J’ai appelé le gouvernement au respect de ces principes, et je souhaite que cette enveloppe soit destinée aux régions françaises les plus frappés par le chômage massif des jeunes, parmi lesquelles les régions ultramarines.
5) Enfin, quels sont vos travaux à venir concernant le maintien de ces aides ? Existe-il un risque de leur diminution comme pour la Grèce, le Portugal ou l’Espagne ?
Il reste maintenant, pour l’ensemble des institutions européennes, à finaliser les négociations toujours en cours et toujours difficiles, tant sur la politique de cohésion que celles sur l’ensemble des politiques de l’Union européennes. Nous en sommes proches. Si aujourd’hui le risque de voir les dotations financière de nos régions revues et diminuées est quasi nul, il reste toujours une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes, celle des « conditionnalités macro-économiques » que les Chefs d’État des 28 souhaitaient intégrer au règlement sur les fonds. En effet les fonds FEDER et FSE pourraient être suspendus pour la France en cours de programmation, si venait à ne plus respecter la règle d’or sur le déficit budgétaire, et si le déficit s’aggravant, la feuille de route fixée par la Commission européenne pour résorber la dette n’était pas suivie par la France. Pour les RUP il y a dans les mois qui viennent l’ensemble des exemptions et des questions quant à l’application du droit communautaire à Mayotte qui doivent être examinées. Cela constitue un corpus de 4 rapports importants, appelé ici omnibus Mayotte, et dont un dossier que je suis de prêt porte sur la protection du parc marin naturel de Mayotte et sur l’avenir des petits et moyens pêcheurs mahorais. Il y a le dossier du POSEI, la politique agricole européenne spécifique aux RUP, qui doit continuer à être suivi, car nous ne savons pour l’heure si la Commission déposera une réforme avant la fin de cette législature ou si elle le fera au début de la prochaine législature. Il y a aussi la prorogation de l’octroi de mer qui vient à échéance et qui devrait très vite arriver, car il se fait déjà tard,et ce rapport devrait déjà être dans le circuit législatif. Enfin, un dossier qui me tient particulièrement à cœur et pour lequel je me suis beaucoup battu, revient en négociation pour finalisation dès ce début novembre, il s’agit du Fonds Européens d’Aide aux plus Démunis, le FEAD. Si mon combat et la détermination de mon groupe politique a permis de porter la question budgétaire de ce fonds jusqu’en plénière en avril dernier, et ainsi d’obtenir un budget revu à la hausse en faisant passer ce fonds de 2,5 à 3,5 milliards d’euros, des questions restent encore à négocier avec le Conseil européen. Je participe à ces négociations et je veux veiller à ce que ce fonds puisse être déployé dans l’ensemble de l’Union européenne pour lutter contre le fléau de la pauvreté et de l’exclusion sociale , et ainsi permettre aux courageuses associations qui chaque jour se battent pour distribuer des colis alimentaires, de pouvoir compter sur un fonds européen. C’est là, une petite pierre, qui contribuera demain à jeter les fondements d’une Europe sociale. Je veux croire à la théorie des pères fondateurs de l’Union européenne selon laquelle l’Europe se ferait par une mécanique d’engrenage, et que d’un petit rouage finit par se déployer une force qui ne fait, avec le temps, que grandir. Je l’espère pour ce fonds et pour l’Europe sociale.