Le Droit international : la solution pour sortir d’une impasse civilisationnelle ?

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J’étais invité aujourd’hui à prononcer un discours de 20 minutes au Conseil de l’Europe devant l’Institut de Diplomatie Internationale, sur le rôle du droit international dans le développement durable. Ci-après le texte de mon intervention au Conseil de l’Europe à Strasbourg.

« Mon action politique est mue par ma conviction qu’il est nécessaire d’amorcer, sans tarder, la transition vers une société durable et socialement juste. Le risque que l’humanité encourt, à laisser faire une économie de prédation, qui combinée aux impacts des changements climatiques et à la perte de biodiversité  est bien celui tout simplement de  l’effondrement de notre civilisation, et peut-être même son  extinction.

Les leçons que nous pouvons tirer des chutes de grands empires et civilisations passées, telles que parfaitement décrites par Jared Diammonds, est qu’une économie basée hier sur l’esclavagisme et la soumission des hommes et aujourd’hui sur des conceptions de croissance et de progrès périmées et qui méritent d’être repensées et aussi sur la surexploitation des ressources naturelles n’amènent en définitive qu’un déclin inévitable. Il serait en effet bien osé d’affirmer que notre civilisation est insubmersible, lorsque l’on se penche sur les désastres sociaux, environnementaux et économiques auxquels nous faisons face aujourd’hui.

Pourtant, nous avons appris quelque chose de l’histoire: Ce n’est qu’en unissant nos forces et notre volonté que l’on aboutit à des réalisations que l’on peut qualifier de civilisationnelles: ainsi, la fondation des Nations Unies, la naissance du Conseil de l’Europe, de l’Union Européenne et la mise en place de la Cour de Justice internationale constituent autant de pas vers une société qui sache prendre son destin en main. Et pourtant, les conditions dans lesquelles se sont faites ces avancées ne présageaient pas de telles avancées: les guerres passées, la dépendance des économies sur les ressources premières, les fiertés nationales et les idéologies totalitaires faisaient de l’établissement d’un ordre mondial basé sur la justice un idéal quasiment utopique!

Cependant, des obstacles à une société juste et durable persistent de nos jours. Ils proviennent principalement des intérêts prédateurs des grandes sociétés multinationales et des intérêts égoïstes d’un grand nombre de gouvernements. Nous pouvons le voir très clairement sur la timidité  des mesures nationales visant à préserver, la biodiversité, l’air, la terre, les rivières et les océans… De plus, ces mesures n’ont de sens que si elles étaient appliquées à l’échelle mondiale, et non pas en fonction des frontières entre États. Mais nous devons aussi dire, contrairement aux idées reçues que ces enjeux planétaires ont malgré la difficulté de la tâche, malgré les hésitations, malgré la course contre le temps aujourd’hui engagé vu les Etats du monde, pour ce qui concerne le défi du changement climatique à se hisser à leur niveau de responsabilité. La Conférence de Rio en 1992, celle de la Haye, représentent de ce point de vue des moments fondateurs et les négociations internationales sur le climat sont bien l’expression qu’il est aujourd’hui admis que c’est communément que les Etats doivent lutter contre des phénomènes qui ne connaissent pas les frontières. Nous voyons que cela n’est pas facile à l’épreuve des conférences des parties qui débouchent souvent sur des déceptions mais nous devons aussi percevoir qu’en moins de 25 ans a été créé de toute pièce tout un champ juridique d’action au niveau international sur une question totalement nouvelle. Ceci doit être souligné.

Ce qui a été mis en œuvre pour le changement climatique doit pareillement être mis en œuvre pour la question de la sauvegarde de la biodiversité qui de mon point de vue est la mère de toutes les catastrophes. Nous sommes confrontés à la 6eme vague d’extinction des espèces depuis le début de ce monde et c’est silencieusement dans un processus de long cours que se profile sous nos yeux qui ne veulent pas voir cette tragédie qui fera que demain il ne nous sera plus possible de voir les grands singes qu’en captivité. Pourtant rien ne change, et nous poursuivons comme dans la parabole de Saint Jean, notre marche aveugle vers le précipice entrainant avec nous tout le monde du vivant.

Une question s’impose : Pourquoi ne faisons-nous pas application avec les autres espèces et la Nature application des principes civilisés qui commandent nos rapports avec nos semblables? A l’évidence, les avancées en termes de civilisation n’ont pas encore trouvé de prolongement dans les rapports entre les hommes et les autres espèces. Pire ces rapports sont devenus avec la modernité et l’expansion économique, le champ d’une barbarie libérée sans vergogne, en pleine puissance et surtout toute impunité. Certes, le droit du plus fort l’autorise. Mais par ce que nous sommes des êtres de culture, parce que nous croyons dans le perfectionnement sans fin de la civilisation humaine, des limites, par le droit, doivent aujourd’hui être posées. Elles doivent l’être d’autant plus que nous avons aujourd’hui que le monde animal et végétal est sans doute doté d’une forme de conscience, de langage et parfois même organisé en société.

Aussi, Mesdames, Messieurs, la proposition que je lance est la suivante : au même titre que les crimes de masse des humains contre les humains qui tombent sous les qualifications juridiques de génocide et de crimes contre l’humanité, je plaide pour l’émergence d’une qualification juridique internationale nouvelle pour que les atteintes contre les atteintes massives contre le monde du vivant et les écosystèmes deviennent véritablement punissables et ne demeurent pas sous le sceau d’un régime d’irresponsabilité quasi absolue.

La création de cette qualification juridique internationale, “des crimes de humanité” pourrait correspondre à un saut qualitatif formidable pour notre civilisation. Car sanctionner ces crimes c’est non seulement sauver l’humanité elle-même, mais c’est aussi sauver l’humanité d’elle-même, de ses instincts prédateurs et de sa barbarie.

La manière dont on traite l’environnement –   témoigne aussi de la nature malfaisante des hommes à l’égard d’eux-mêmes. C’est Philippe Descola, professeur au Collège de France  qui nous rappelle que ce que l’on fait de la nature est aussi un indicateur de notre façon de traiter nos semblables. “Ce n’est pas un hasard dit-il si la deuxième expansion coloniale s’est faite en pleine révolution industrielle : ravalée au rang de ressources naturelles, les colonisés avaient le droit au même traitement que le charbon dans les mines.”

Voyons donc quelle est le traitement réservé aux minorités, qu’elles soient ethniques, sexuelles, culturelles ou basés sur le genre: la société semble toujours en manque d’un bouc-émissaire, et lorsque ce n’est pas le juif, c’est l’homosexuel, si ce n’est pas le noir, ce sera le musulman. C’est précisément pour contrer cette propension “naturelle” à la peur de “l’autre” qu’un système international de justice est nécessaire. L’Europe, qui a vu naître tous les totalitarismes et toutes les dérives discriminatoires, est de ce fait bien placée pour reconnaître les bienfaits d’une quadruple protection des droits fondamentaux: Protection par le système constitutionnel national, par la Cour européenne des Droits de l’Homme, par la charte des Droits fondamentaux de l’Union Européenne et par la Cour de Justice de la Haye. Le système institutionnel est configuré de sorte à ce que les atrocités telles que l’on a connus dans l’histoire ne puissent plus se répéter.

Or, il s’avère qu’un tel système n’est pas en soi suffisant. Certes, il n’y a plus de guerre en Europe, mais les discours de haine persistent. Les droits semblent être garantis, mais les gouvernements gardent la décision souveraine d’amender leurs constitutions en fonction de leurs idéologies. Avec des mouvements populistes prenant de l’ampleur en Europe, la stabilité et la paix que nous avons connue peuvent être aisément remises en cause. Quand se conjuguent les politiques austéritaires et les discours qui flattent les bas instincts des peuples, c’est la bête immonde qui grandit et qui devient prête à bondir.

Pour conclure, rappelons que le droit international a certainement beaucoup contribué à la normalisation des relations entre les belligérants à l’issue de la seconde guerre mondiale; il est souhaitable qu’il contribue également, de nos jours, à l’apaisement de la société qui est à nouveau en proie aux extrémismes. Les Cours, comme les gouvernements et les institutions internationales se doivent d’être sans appel: il n’y a pas de place, dans nos sociétés modernes, pour les crimes de racisme, d’homophobie, de misogynie; tout comme il n’y a pas de place pour les crimes de l’Humanité contre l’environnement. Mais n’oublions pas non plus que le droit international s’est forgé dans la recherche de solutions pour prévenir ou punir les guerres de conquêtes territoriales. Mais nous entrons aujourd’hui dans une nouvelle ère où les nouvelles frontières à conquérir, dans la domination, ne sont plus seulement géographiques (de moins en moins d’ailleurs)  mais se situent ailleurs dans un autre champ. Ce qui fait aujourd’hui l’objet de toutes les ruses, de toutes les stratégies de conquête pour l’accaparement ce sont nos esprits.

Je vous remercie de votre attention. »

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