06/03/2012 – Tribune de Younous Omarjee : David Cameron menace la Cour européenne des droits de l’Homme

Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin

La Cour européenne des droits de l’homme est un patrimoine commun qu’il faut sauvegarder dans ses fondements et ses principes les plus fondamentaux : son autorité contraignante sur les Etats signataires, et la possibilité d’introduire un recours libre et individuel auprès d’elle après avoir épuisé l’ensemble des recours de justice au niveau national.

Faut-il rappeler que la Cour européenne des droits de l’homme a permis de mettre en lumière de nombreuses failles dans la garantie que les grands pays européens ont le devoir d’accorder aux droits de l’homme érigés comme socle de valeurs commune ? Et nous pouvons citer en exemples : la lutte contre l’homophobie d’Etat, les droits de la femme, les droits de l’enfant et l’interdiction des punitions corporelles à l’école, le droit des personnes handicapés, le droit des personnes incarcérées, la définition d’un cadre pour des procédures policières comme les écoutes ou les perquisitions, etc. Il y a un grand honneur à défendre inconditionnellement les pouvoirs et compétences de cette Cour.

 Bien sûr la Cour et ses interprétations pratiques des droits de l’homme mécontentent certains gouvernements qui souhaiteraient voir appliquer des mesures punitives radicales afin de satisfaire une opinion par l’impression de fermeté et d’intransigeance qu’ils souhaitent donner. Cependant la garantie des droits de l’homme sont au cœur de nos engagements européens et au cœur de nos engagements internationaux, du moins par nos discours. Nous avons après l’horreur de la seconde guerre mondiale et contre les idéologies fascisantes et réductrices de l’humain garanti à nos peuples que les droits de l’homme, qui sont leurs droits les plus fondamentaux auxquels ils aspirent, seraient défendus par une cour indépendante qui a le pouvoir de contraindre les Etats. La cour est un patrimoine européen, elle est une noble exception européenne sans équivalent de part le monde, elle a acquis le pouvoir d’insuffler aux Etats signataires une dimension qui les oblige au respect des droits humains. Nous ne pouvons ni aujourd’hui ni demain accepter ou concéder sur ce plan quelque recul que ce soit.

 Cette cour est pour l’Europe une source de fierté, et une forme d’identité juridique européenne autour de laquelle tout un chacun peut se retrouver dans la défense et l’aspiration à la protection inconditionnelle des droits de l’homme. Elle est une identité juridique européenne à vocation cosmopolite qui permet par des principes que nous plaçons et garantissons au dessus de tout autre de transcender le repli sur les identités nationales. Elle est aussi un riche patrimoine humain dans la course à la mondialisation de l’économie qui marque notre temps.

 L’Europe se trouve aujourd’hui fragilisée dans ses fondements par la mise en œuvre de politiques d’austérité et dans les attaques successives qui sont faites aux libertés individuelles, tantôt sur le compte de lois anti-terroristes, tantôt sur le compte d’autres prétextes. Plus que jamais nous avons besoin d’une Cour européenne des droits de l’homme forte. Nous rentrons, comme le disait Gilles Deleuze, dans une société de contrôle qui fragilise les libertés individuelles : violations de la protection des données personnelles, fichage généralisé de la population dès la scolarité…

 Les peuples d’Europe ont besoin de ce recours qui s’affirme souvent pour eux comme l’ultime espoir de voir leurs droits fondamentaux protégés, l’ultime espoir de voir triompher le droit et la justice. La résurgence des nationalismes qui se fait entendre aujourd’hui en Europe ne peut nous conduire à éliminer les grands progrès que nous avons réussis à achever au siècle dernier. Ne perdons pas vue que la bête immonde est prête à bondir en Europe, et que plus que jamais des institutions comme la Cour européenne des droits de l’homme a la force de contraindre les aspirations de ceux qui pourraient ramener l’Europe vers l’ombre et la barbarie.

 Pour se placer dans l’actualité par un exemple concret : qui d’autre que la Cour veillera à la conformité avec les droits de l’homme, de la mise en œuvre de la future constitution hongroise, pressentie comme liberticide à de nombreux égards ?

 Aussi, l’Europe et ses grands Etats doivent pouvoir être crédibles, irréprochables dans les sanctions qu’ils s’appliquent à eux-mêmes, si sur la scène internationale ils projettent encore de se poser en défenseur des droits de l’homme de part le monde sans pour autant figurer en tant que donneurs de leçons à qui le droit qu’ils professent ne s’applique pas.

 Il serait incompréhensible que la France soutienne le projet de David Cameron, et participe à affaiblir la Cour européenne des droits de l’homme qui joue un rôle moteur tant dans la conquête que la protection des droits et des libertés de chacun.

 Younous Omarjee

ACTUS NEWS