J’étais aujourd’hui invité à intervenir devant les acteurs économiques des RUP réunis à Bruxelles a l’occasion de l’Assemblée Générale d’Eurodom.
Cette journée a permis à ces acteurs des RUP d’échanger avec des députés (Alain Cadec, Maria do Céu Patrão Neves) et des commissaires (Dacian Ciolos, Maria Damanaki) de l’Union européenne.
Voici le compte-rendu de ma prise de parole
C’est un vrai plaisir pour moi de participer à l’Assemblée Générale d’Eurodom. Je dois dire que nous vivons d’une certaine manière avec Eurodom, en permanence, et qu’Eurodom apporte à l’ensemble des députes européens un soutien quotidien, constant et très efficace dans la défense commune des régions ultrapériphériques, et en particulier des régions ultrapériphériques françaises.
Votre assemblée générale se tient à un moment un peu particulier pour les députés européens, puisque nous ne sommes pas très loin du renouvellement des institutions européennes, en mai 2014 avec les élections européennes. Nous pouvons avoir aujourd’hui une vision globale sur ce qu’a été la défense, la promotion des régions ultrapériphériques au cours de cette législature, peut-être faire un bilan de ce que nous avons pu mettre en œuvre, des difficultés également qui sont apparues, et des perspectives que nous pouvons dores et déjà tracer pour les 5 voire 7 années à venir. Ces 2 dernières années ont été particulièrement cruciales, puisque ce sont l’ensemble des réformes pour les 7 années à venir que nous avons eues à connaitre, des réformes décisives pour l’avenir des régions ultrapériphériques. C’est bien évidemment le cadre budgétaire, le cadre financier pluriannuel jusqu’à 2020, qui a des conséquences directes sur la vie de nos territoires, et sur le développement économique de nos régions par les fonds structurels en particulier ; c’est la réforme du POSEI qui est en cours ; c’est la réforme de la politique commune des pêches, et des règlements qui y sont attachés, comme le FEAMP ; et c’est aussi tout une nouvelle politique, une nouvelle vision mise en œuvre par la Commission européenne jusqu’à 2020 dans l’ensemble des politiques communautaires.
En disant cela, je pense que vous avez pu prendre la mesure de la charge qui était devant vos représentants au Parlement européen. Et je dois dire que les députés des régions ultrapériphériques ont été au front en permanence pour tenter, autant que possible, de défendre les intérêts de nos régions.
J’en profite pour dire – parce qu’on me fait souvent la remarque – que le travail exercé par les lobbyies est extrêmement important, nécessaire. C’est ce qui se passe à Bruxelles et il est important que nous soyons organisés : ce travail doit se faire en complément avec celui des responsables politiques et des élus. Je suis élu au Parlement européen, mais je ne suis pas lobbyiste. Donc il faut aussi admettre que lorsque nous avons à défendre une position, nous ne pouvons pas tout prendre des propositions qui émanent des lobbies, puisque nous devons les resituer ensuite dans un cadre beaucoup plus global. Mais il est vrai que, le plus souvent, sur l’ensemble des dossiers que je viens d’évoquer, il y a eu de très fortes convergences entre les positions exprimées par les acteurs professionnels, et les analyses que nous avons nous-mêmes élaborées au Parlement européen.
Toujours sur la méthode, et c’est une occasion pour moi de le souligner cet après-midi, nous fonctionnons au Parlement européen en conférences des députés des régions ultrapériphériques : la présence de Madame Patrão Neves à notre déjeuner montre l’unité qui existe entre les députés portugais, espagnols et français. Au-delà de nos appartenances politiques, nous avons réussi à dégager, sur l’ensemble des dossiers, des positions communes. Je crois que cela fait notre force et j’espère que pour la prochaine législature c’est le même état d’esprit qui animera les futurs représentants au Parlement européen puisque bien évidemment, c’est unis que nous sommes plus forts pour faire valoir nos positions, d’abord au Parlement européen, et puis ensuite pour aller à la rencontre des Commissaires européens. Ces dernières semaines ont été pour moi particulièrement actives, intenses – c’est pour ça que je suis un peu fatigué- puisque nous sortons d’une année et demi de négociations sur la politique de cohésion, et j’ai été l’un des membres de l’équipe de négociation du Parlement européen, j’étais le seul français d’ailleurs dans cette équipe de négociation. Nous avons eu à négocier véritablement avec la Commission européenne et le Conseil sur le règlement général mais aussi d’autres règlements pour la politique de cohésion, les fonds structurels jusqu’à 2020. Un accord s’est dégagé il y a 10 jours entre le Parlement, le Conseil et la Commission. Le vote aura lieu en plénière la semaine prochaine. J’espère que dès le 1er janvier 2014, les crédits pourront être débloqués pour que les régions puissent véritablement engager les projets qui attendent d’être mis dans les tubes. Cette négociation était particulièrement importante pour l’avenir de la politique régionale, et en particulier pour les régions ultrapériphériques. Je crois que le fait d’avoir pu, personnellement, participer aux négociations a permis que l’équipe des négociateurs du Parlement européen n’oublie pas les régions ultrapériphériques, alors qu’il y avait énormément de questions importantes qui étaient mises en discussions.
Au sortir de cette négociation, je constate que la quasi-totalité des demandes que nous avons porté, ou qui ont été portées par la Commission, ou qui ont été portées par le Conseil, ont été satisfaites. Il faut le dire, le répéter, il faut le souligner, puisque dans le même temps, il est vrai que le même sort n’est pas réservé pour d’autres catégories de régions. Je prendrai un seul exemple qui est celui des cofinancements. Nous avons pu obtenir dans cette négociation un niveau de cofinancement pour les régions ultrapériphériques à hauteur de 85 % quand il est ramené à 50% quasiment pour les autres régions. C’est important, puisque cela a un impact direct sur le développement et sur le développement économique de nos régions. Nous avons également obtenu dans la négociation que l’enveloppe relative à la compensation des surcoûts soit rehaussée à hauteur de 30 euros, 5 euros de plus par rapport à la première proposition faite par le président du Conseil européen. Les choses étaient mal engagées au départ et au final on se retrouve avec une enveloppe qui correspond à la demande qui avait été portée.
Nous avons également dans cette négociation pu faire valoir la demande des présidents des régions ultrapériphériques pour que les objectifs thématiques ne soient pas appliqués aux régions ultrapériphériques par rapport à l’enveloppe sur la compensation des surcoûts. Et puis surtout, nous avons obtenu, jusqu’à 2020, que les enveloppes pour les régions ultrapériphériques soient maintenues à niveau, quand le budget global de l’Union européenne diminue, quand le budget de la politique de cohésion diminue fortement, nous avons obtenu que pour les régions ultrapériphériques nous ne perdions pas un seul euro pour la prochaine programmation. Je crois même, mais je n’ai pas les chiffres en ma possession et il y a des arbitrages qui doivent être faits au niveau national, que ces enveloppes augmenteront légèrement pour les régions ultrapériphériques françaises. Dans ce contexte c’est là un motif, un vrai motif de satisfaction.
Vous savez, Monsieur Bally, le combat que j’ai mené pour Mayotte, nouvelle région ultrapériphérique. Je ne reviendrai pas sur toute la problématique relative à la dotation forfaitaire qui lui a été attribuée mais j’appelle l’ensemble des acteurs, y compris les acteurs économiques à soutenir Mayotte dans sa « rupéisation ». Il y a des potentialités considérables et nous avons profité de cette année de négociations pour faire connaître Mayotte au Parlement européen, et pour faire en sorte qu’elle bénéficie du même soutien que celui dont bénéficient les autres régions ultrapériphériques par rapport aux demandes qui sont portées. Sur la question du POSEI, je souhaiterais dire deux mots par rapport à ce qu’a dit ma collègue Mmme Patrao Neves. Sur la question du POSEI et du FEAMP, il est vrai que le règlement spécifique, un peu abusivement appelé « POSEI pêche », disparaît. Mais il est également vrai que les mesures contenues dans le FEAMP constituent des avancées qui pour certaines sont sans précédent. Nous avons obtenu des avancées importantes. Il n’en reste pas moins vrai qu’il se pose un problème que je considère d’ordre politique concernant la suppression de ce règlement spécifique FEAMP. Cela signifie que la Commission européenne fait le choix de supprimer un règlement spécifique pour l’intégrer à un règlement général, et qu’il y aura beaucoup moins de souplesse pour réformer si cela est nécessaire le règlement général par rapport à nos spécificités, à nos besoins qu’un règlement spécifique, qui peut être adapté au fur et à mesure. Il y a là un problème et il faudra trouver, le moment venu, les moyens d’y remédier.
Mais j’avais une inquiétude, en voyant la disparition de ce « POSEI pêche », que la voie soit ouverte pour la suppression du POSEI agricole. Cela n’est pas le cas, le commissaire Ciolos l’a rappelé. La balle est aujourd’hui aussi dans notre camp, puisqu’il y a eu une consultation publique – tout le monde a joué le jeu, comme attendu – et nous veillerons à ce que le règlement soit un règlement rénové qui permette d’atteindre au mieux les objectifs. C’est le vœu des commissaires européens, c’est le choix du Parlement européen.
Nous souhaitions, nous, députés européens, être saisis au plus vite de ce règlement. Et je partage pleinement l’avis de Maria Patrão Neves, nous connaissons actuellement les rapports de force à l’intérieur du Parlement européen, nous avons une Commission européenne qui a une vision assez convergente avec nous sur l’avenir des régions ultrapériphériques. Et plus cette réforme ira vite, et plus nous serons à l’abri d’un certain nombre de mauvaises surprises, en tout cas si le vote de la réforme du POSEI a lieu au cours de la prochaine législature, il faudra être particulièrement vigilants sur ce qui se passera au Parlement européen, et dans tous les cas, il faudra effectivement mettre la pression sur la Commission pour qu’elle transmette au plus vite le texte au Parlement européen.
Sur le règlement de la PCP, je ne vais pas reprendre l’ensemble des mesures. Je voudrais simplement faire une remarque d’ordre général qui s’applique et à la PCP et au POSEI, pour qu’on avance dans nos réflexions sur l’article 349. J’ai acquis la conviction aujourd’hui que l’article 349 est un article qui effectivement peut être encore plus utilisé qu’il ne l’est. Il y a un travail important à faire auprès l’ensemble du collège des Commissaires. Mais j’ai aussi acquis la conviction que l’article 349 doit être utilisé de telle sorte qu’il permette à la fois de répondre à nos spécificités, mais qu’il permettre aussi de s’inscrire dans les objectifs posés par l’Union européenne.
Je prends un exemple concret qui est celui de la politique commune des pêches. Je pense que les orientations fixées par la Commission concernant la durabilité de la ressource, cette empreinte écologique très forte dans la nouvelle PCP, nous devons assumer et partager cet objectif. Dans la manière dont nous demandons l’application de cet article 349, il nous faut faire très attention de ne pas donner le sentiment que nous souhaitons rester en retrait des objectifs de l’Union européenne. L’article 349 doit permettre de prendre en compte nos particularités, de permettre des adaptations de nous donner aussi du temps pour, à terme, par rapport à nos objectifs propres, pouvoir participer à la réalisation des objectifs posés au niveau de l’ensemble européen. Ce que je dis pour la pêche vaut également pour l’agriculture. Il y a dans la réforme proposée par la Commission européenne un certain nombre d’objectifs que nous devons également assumer. Mais la Commission doit comprendre que nous ne pourrons les assumer que dans la mesure où nos particularités sont préalablement, bien prises en compte.
Je ne veux pas être trop long pour laisser le temps au débat mais il y a là un vrai débat de doctrine qui doit se faire sur l’article 349, et il faudra bien, à un moment donné, avancer. Parce que dans la manière dont nous défendons les régions ultrapériphériques, il faut prendre en compte le contexte dans lequel elles évoluent : tout évolue au niveau politique au Parlement européen, vous avez vu que l’Union européenne est confrontée à une crise particulièrement grave, que les taux de chômage sont records, que toutes les régions sont confrontées à des difficultés. Si nous donnons le sentiment que nous arrivons à Bruxelles avec un esprit de clocher et avec la volonté permanente de demander seulement des dérogations, sans tenir compte de la situation générale, et sans nous inscrire dans cet ensemble, il sera de plus en plus difficile de faire prendre en compte nos demandes. Et je le dis parce que j’entends les remarques qui sont faites par nos collègues au Parlement européen. Et puis il y aussi les demandes d’alignement systématique des montagneux, des insulaires, des régions faiblement peuplées, sur nos demandes. Nous devons faire attention à la manière dont nous déployons nos arguments auprès des institutions européennes. En ce qui me concerne, j’y fais très attention.
L’autre grand problème devant nous est le suivant : j’ai le sentiment que jusqu’à aujourd’hui, quand nous parlons des régions ultrapériphériques et de leur relation avec l’Union européenne, on pense automatiquement à la politique régionale, à la politique agricole, à la pêche. On est enfermés dans ces politiques et on oublie le reste. Nous avons le devoir de nous insérer dans toutes les politiques de l’Union européenne, car elles correspondent aux problématiques de demain de nos territoires. C’est la recherche, l’innovation, le développement durable, la politique commerciale extérieure.
Et il y a là devant nous deux objectifs. Premièrement, faire en sorte que l’ensemble des Commissaires européens, et pas seulement les Commissaires Hahn, ou Ciolos, ou la Commissaire Damanaki, aient la « culture RUP ». On a beaucoup parlé l’année dernière des accords avec les pays tiers, et notamment des accords conclus concernant la banane avec les pays d’Amérique Centrale, les pays andins, etc. Et on a vu un exemple concret : il n’a pas été pris en compte les demandes, les intérêts des filières bananes dans les régions ultrapériphériques, et en particulier aux Antilles, avec tous les débats qui ont eu lieu sur les clauses de sauvegarde etc.
C’est un exemple qui montre qu’au niveau de la politique commerciale, il n’y a pas encore de prise en compte à la hauteur des intérêts des régions ultrapériphériques. Il y a là un champ immense de travail de persuasion à faire auprès de la Commission, et il faudra trouver les espaces pour que l’on puisse amener la Commission à faire en sorte que systématiquement nos intérêts soient pris en compte. Nous demandons que soit rendue systématique la mise en œuvre d’études d’impact sur nos productions ou nos économies, des accords conclus entre l’Europe et les pays tiers. Je pense que c’est un demande qui pas une demande excessive, et que ça pourrait déjà être un bon début. Par rapport à cet objectif d’insertion dans l’ensemble des politiques européennes, c’est tout le sens du rapport d’initiative qui m’a été confié par le Parlement européen, que je suis en train de rédiger actuellement, et qui sera mis au vote au mois de février 2014 à Strasbourg. Il s’agira de voir comment on peut aller vers une meilleure synergie entre les fonds structurels et les autres fonds, c’est à dire tout ce qui concerne l’environnement, la recherche, l’innovation, puisque nous avons beaucoup à gagner.
Dernière remarque d’ordre très général, il faut sortir d’une vision un peu misérabiliste dans la défense des régions ultrapériphériques, puisque nous sommes au cœur, même si nous sommes de petits territoires, même si nous sommes plus pauvres que les autres, nous sommes au cœur de l’ensemble des défis posés par l’Union européenne.
L’Union européenne et les institutionnels européens doivent acquérir la conviction qu’ils ne pourront pas non plus atteindre leurs propres objectifs s’ils n’insèrent pas mieux les régions ultrapériphériques. C’est vrai en matière de biodiversité : je ne vois pas comment l’Union européenne pourra atteindre les objectifs qu’elle s’est fixée, si elle ne valorise pas mieux nos régions. C’est vrai pour la politique maritime intégrée et les océans, où là encore ce sont les RUP et les PTOM qui apportent à l’Union sa dimension mondiale ; c’est vrai par rapport à tout ce qui concerne l’insularité, la tropicalité, notamment par rapport au changement climatique où les RUP et les PTOM peuvent jouer un rôle extrêmement important. Enfin cela est vrai dans de nombreux domaines, et nous devons à coté de ce concept d’ultrapériphérie, dire que RUP et PTOM sont et doivent être au cœur des politiques de l’Union européenne.
Dernière idée que je poserai dans mon rapport, c’est de faire émerger avec plus de force le concept d’Outre-mer européen. Puisque nous voyons bien que sur ces politiques très transversales, il y a des possibilités de programmes, d’instruments, d’actions communes, entre RUP et PTOM. Et c’est d’autant plus important, que nous donnons à ce moment plus de force politique puisque au Conseil RUP et PTOM ne sont pas que trois Etats, mais aussi le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Danemark… C’est donc plus de poids au Conseil, car il est parfois difficile pour la France, le Portugal et l’Espagne de défendre les demandes qui sont posées pour les régions ultrapériphériques.
Voilà en deux mots ce que je voulais vous dire. Je tiens en tout cas une fois de plus à féliciter Eurodom pour l’appui qui a été apporté tout au long de cette législature, et en particulier au cours de ces deux dernières années.
Merci.