Député au parlement européen depuis 2012, le réunionnais Younous Omarjee (LFI-La Gauche au Parlement européen) est aussi le président de l’importante commission Développement régional qui a en charge la politique de cohésion, soit plus de 370 milliards d’euros. À ce titre, il nous livre sa vision des enjeux se posant à la politique des territoires et du rôle que sont appelés à y jouer les buralistes.
Le Losange : Ce 27 juillet, Philippe Coy et Sophie Lejeune vous ont présenté le réseau des buralistes et sa Transformation. Vos premiers sentiments ?
Younous Omarjee : Je vous confierai que j’ai été très agréablement surpris et que cela m’a amené à revenir sur un certain nombre d’idées reçues. J’ai senti une vraie vision d’avenir et, en réalité, j’ai été impressionné par le chemin tracé avec la Transformation. Nous avons discuté de la situation des buralistes d’aujourd’hui. Des difficultés rencontrées. Mais aussi de la contribution essentielle que le réseau peut apporter à l’aménagement et aux objectifs de cohésion du territoire. Dans mes responsabilités, la réduction des fractures territoriales en Europe est une priorité, une obsession. En France, les buralistes ont un rôle à jouer pour faire face a ce défi.
“Nous sommes prêts à les accompagner les buralistes dans la transformation et la diversification de leur métier”
… Mais comment analysez-vous la situation des buralistes avec votre regard « européen » ?
Il y a une réalité qui s’impose. Nous allons vers un monde de plus en plus sans tabac. Tout l’indique et c’est une bonne chose. Pour la santé des personnes comme pour l’écologie. Quand la crise du Covid 19 sera derrière nous, les objectifs en matière de santé publique s’imposeront avec encore plus de force qu’aujourd’hui. Face à cette certitude, à mon avis, d’une consommation de cigarettes qui ira en diminution en Europe et dans les pays développés, soit on reste dans son coin à pleurer les bras croisés et à réclamer des compensations, comme beaucoup de corporations manquant de lucidité sur les transformations de l’économie et du monde le font ; soit on a le courage de constater objectivement que le monde se transforme et qu’il est, dès lors, plus sûr de se consacrer à une transformation du métier. Je constate que c’est le chemin tracé par les buralistes pour leur Transformation et leur diversification. Ils ont pris les choses en main avec leur bon sens, leur capacité d’adaptation et les facultés d’organisation de leur Confédération. Et dans ce chemin nous sommes prêts à les accompagner.
À propos de tabac, vous êtes connu, à Bruxelles, pour un certain nombre de prises de position « dures »…
Des positions dures ? C’est vous qui le dites. Je pense que les positions que j’ai défendues contre le marché parallèle du tabac et ce commerce illégal sont des positions justes. Qui vont dans l’intérêt des buralistes. L’une des fonctions première d’un parlement est de contrôler l’exécutif. Et j’ai accompli mon devoir de parlementaire lorsque je me suis opposé – j’étais le seul – à l’Acte d’Exécution que nous présentait la Commission européenne concernant la Directive tabac parce qu’il ne se conformait pas au Protocole de l’OMS « pour éliminer le commerce illicite du tabac ».
“Les positions que j’ai défendues contre le marché parallèle du tabac et ce commerce illégal sont des positions justes. Qui vont dans l’intérêt des buralistes.”
J’ai dénoncé avec il est vrai peu de soutiens, le fait que la Commission européenne faisait confiance à l’industrie du tabac pour lutter contre ce marché illégal, alors que la preuve est faite aujourd’hui que c’est l’industrie du tabac elle-même qui alimente ce commerce. Alors que l’OMS oblige de couper tous les liens avec cette industrie pour cette lutte. J’ai donc publié le Livre noir du lobby du tabac pour dénoncer certaines méthodes de ce lobby et expliquer le dessous des cartes. Je pense que c’est un combat qui demeure essentiel, que les buralistes doivent comprendre. Ils ont beaucoup à perdre de l’attentisme actuel. Et beaucoup à gagner d’une élimination définitive de ce commerce qui par ailleurs renforce le grand banditisme et des organisations mafieuses en Europe. C’est un combat qui se poursuit.
Depuis 2019, vous êtes président de la commission Développement régional du Parlement européen. En quoi agissez-vous sur nos propres territoires ?
D’une certaine manière, je suis un expert des inégalités territoriales car cette commission a la responsabilité, parmi d’autres, de réduire les fractures entre territoires. Elle a en charge la définition et la négociation des « Règlements » qui correspondent à la politique européenne de cohésion territoriale et se traduisent par des soutiens que les acteurs économiques connaissent bien comme les fonds Feder.
Au total, notre politique c’est plus de 370 milliards d’euros pour viser la cohésion et la convergence en Europe. Cela se traduit par diverses aides directes de l’Union Européenne aux régions et PME. Il s’agit de cofinancements, c’est à dire d’aides qui viennent en complément des aides de l’état. En réalité, C’est la politique de l’Union qui dispose de plus de moyens aujourd’hui pour que toutes les régions d’Europe puissent viser un même niveau de développement.
Younous Omarjee à la Confédération, le 27 juillet, entouré de Philippe Coy et Sophie Lejeune.
“Au total, notre politique c’est plus de 370 milliards d’euros pour viser la cohésion et la convergence en Europe.”
Parce que le problème des territoires concerne toute l’Union européenne ?
Évidemment. La situation d’un länder en Allemagne n´est pas la même qu’une région bulgare. La situation d’une région rurale est moins favorable qu’une région organisée autour d’une grande métropole. Il y a des écarts de développement considérables. Et à travers la solidarité européenne, l’objectif est de combler ces écarts pour qu’aucune région d’Europe ne soit laissée sur le bord du chemin du développement, de l’innovation et de la résolution de nouveaux défis. Il y a une donnée en Europe qui est fondamentale et qui demeure sous-estimée, c’est la donne démographique. Dans une Europe qui est en voie de déclin démographique, vous avez des États membres ou des zones qui accusent plus le phénomène que d’autres. Il y a aujourd’hui en France et en Europe de grandes disparités territoriale d’accès à un certain nombre de services au public, ou de services publics tout simplement.
Il y a une troisième donnée que je veux ajouter parce que trop rarement abordée qui est celle de la solitude dans laquelle beaucoup de nos concitoyens vivent. Dans les villes comme dans les zones rurales, celle-ci s’aggrave non pas du goût des gens pour la solitude mais parce que cela résulte de choix politiques d’organisation qui affaiblissent le lien social. C’est une question de civilisation.
“Dans les zones rurales tout particulièrement, les buralistes jouent un rôle de maintien du lien social.”
Et les buralistes là-dedans ?
Souvent quand il n’y a plus rien, il reste un bureau de tabac. Dans les zones rurales tout particulièrement, les buralistes jouent un rôle de maintien du lien social. Mais plus encore, les buralistes en général ne sont pas des commerçants comme les autres. Ils sont à juste titre perçus par les citoyens comme des interlocuteurs dans lesquels on peut avoir confiance, car ils assurent des fonctions de préposés de l’État ; c’est un atout considérable. Et les évolutions que je décrivais me conduisent à penser qu’ils seront appelés à remplir encore plus de nouvelles missions de nature à palier au manque d’un certain nombre de services dans des territoires où ces services disparaissent au fur et à mesure. Ils ne doivent pas avoir peur de les accepter mais je sais que les buralistes ont conscience du rôle qui est le leur.
Un engagement européen
« Je suis un européen convaincu mais critique… affiche d’emblée Younous Omarjee. Pour le comprendre, il faut savoir que je suis originaire de l’Île de la Réunion. Et souvent, lorsque l’on vient de loin, on dispose d’une vision suffisamment décentrée pour se rendre compte de la valeur de la construction européenne. J’ai la conviction qu’il faut aider l’Europe à rentrer dans l’histoire. Non pas l’Europe des banques et de l’ordre budgétaire, mais l’Europe du progrès.
« Les députés européens ont beaucoup plus de pouvoirs concrets qu’on ne le dit. Par exemple, je suis connu comme étant le député qui a permis l’interdiction de la pêche électrique en Europe et j’en suis très fier. Cela a été rendu possible par le Parlement européen.
« La montée des forces nationalistes et identitaires dans le monde et en Europe m’inquiète. Le combat numéro 1 de cette législature est celui des valeurs et de l’État de droit. Il en va de l’avenir de l’Europe et du monde. Car si l’Europe recule sur ce plan, le recul sera mondial. »
Propos recueillis par Xavier Makila pour Le Losange.
L’article est consultable en intégralité ici :
« Les buralistes sont perçus comme des interlocuteurs de confiance »