Tribune à lire en intégralité dans Le Monde.
L’Amazonie meurt et émet désormais plus de CO2 qu’elle n’en absorbe. Il devient plus urgent que jamais de préserver l’autre poumon de la planète : l’océan. Celui-ci absorbe près d’un tiers de nos émissions de CO2 et agit comme le principal régulateur du climat. Nous ne gagnerons donc pas la lutte contre le réchauffement climatique sans préserver la faune et les écosystèmes marins.
Après une avalanche de catastrophes climatiques cet été, nous n’avons plus une minute à perdre. Dans cette course contre la montre, la date du 29 septembre 2022 est cruciale : un « trilogue » (la négociation entre la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil de l’Union) à propos de l’article 5 de la politique commune de la pêche scellera le destin de centaines de pêcheurs côtiers français, fragilisés, comme le milieu marin dont ils dépendent, par le passage quotidien de pêcheurs industriels qui viennent jusqu’à la côte concurrencer la petite pêche.
Nous, députés français et européens, maires, sénateurs de tous bords politiques, demandons à la France d’utiliser tout son pouvoir diplomatique le 29 septembre pour gagner à Bruxelles l’interdiction d’un engin destructeur qui transforme nos mers et nos ports de pêche en déserts : la senne démersale.
La senne démersale est une technique de pêche dévastatrice, qui symbolise la dérive des pêches industrielles, de plus en plus dépendantes de l’hyper-efficacité technologique pour compenser l’inexorable déclin des populations de poissons. Cette course en avant à la performance aboutit à la concentration des possibilités de pêche entre les mains des navires les plus gourmands en capital, en subventions publiques et en gasoil.
Une méthode de pêche anti-écologique et antisociale
Le schéma est désormais bien connu puisqu’il est en tout point similaire à la tragédie de la pêche électrique qui a frappé les Hauts-de-France et a laissé moribond le port de Dunkerque (Nord).
La senne démersale est une méthode de pêche anti-écologique et antisociale qui consiste à capturer les poissons par le biais d’un immense câble déployé très rapidement sur les fonds marins et sur des surfaces équivalentes, en une seule journée de pêche de cinq navires senneurs, à la superficie de Paris. Aujourd’hui, environ 75 senneurs sont autorisés à pêcher en Manche. Cela signifie qu’on a donné aux industriels néerlandais un blanc-seing pour détruire l’environnement marin autour de notre littoral ainsi que les pêcheurs côtiers des Hauts-de-France et de Normandie.
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Regardons les choses en face : les petits pêcheurs ne survivront pas à cette nouvelle attaque des industriels. Il n’existe pas un seul argument rationnel permettant de justifier de soutenir les énormes navires néerlandais qui, après avoir vidé la mer du Nord, se sont rabattus sur la Manche Est et sont désormais en train de fondre comme des prédateurs sur la Manche Ouest.
Ainsi, 98 % des pêcheurs français du Nord et de Normandie demandent l’interdiction de cette méthode de pêche qui vide la mer, émet des tonnes de CO2 et déloge le carbone stocké gratuitement par l’océan dans les sédiments marins.
A l’heure du changement climatique et de l’hémorragie sociale parmi les petits producteurs, cette méthode de pêche doit être interdite de toute urgence.
Le Parlement européen a voté l’interdiction de la senne démersale… Mais cette victoire est menacée par la France.
Le 12 juillet, le Parlement européen a voté l’interdiction de la senne démersale dans les eaux territoriales françaises depuis la frontière belge jusqu’aux portes du Cotentin en Normandie.
Mais cette victoire est fragile et menacée. D’abord par les Pays-Bas, qui défendent bec et ongles l’impitoyable rapt de leurs flottes industrielles enferrées dans un individualisme antieuropéen qui les mène à sillonner tous azimuts les eaux de l’Union européenne, sans scrupule, sans soin, sans pensée pour demain, sans autre chose que du mépris pour les pêches côtières ancrées à des territoires et que les lobbies néerlandais anéantissent sur leur passage.
Mais la victoire des petits métiers et de nos économies littorales est surtout menacée à Bruxelles par la passivité de la France qui, en tant que première puissance maritime de l’Union européenne, peut, en matière de pêche, faire la pluie et le beau temps.
Or la France ne dit mot. Pourtant l’enjeu est énorme : en sacrifiant les petits métiers à la pêche industrielle, on tourne le dos aux entreprises familiales, au savoir-faire artisanal, à la vitalité économique de nos territoires mais aussi à la biodiversité et au climat.
La France doit élever sa voix pour sauver les pêcheurs français des pratiques destructrices des industriels néerlandais. Personne n’osera remettre en cause sa volonté dans le cadre d’une négociation concernant les pêcheurs français.
La France doit élever sa voix.
Il suffit pour cela que notre diplomatie se mobilise. Il suffit pour cela que nos représentants à Bruxelles reçoivent « les instructions » de Paris. Il suffit pour cela de résister aux pressions des lobbies et d’être à la hauteur des enjeux écologiques.
Le 29 septembre, la France doit gagner l’interdiction de la senne démersale. Nous vous le demandons. Le climat, la biodiversité et 98 % des pêcheurs côtiers l’exigent.