Conférence à l’Île Maurice sur “l’Abolition des barrières commerciales et tarifaires dans l’Océan Indien”

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Je vous fais partager ma communication lors de la conférence tripartite organisée par l’Universite de l’Ile Maurice, de Postdam en Allemagne et de Paris X qui s’est tenue le 19 Octobre 2015 à l’Ile Maurice sur “l’abolition des barrières commerciales et tarifaires dans la région de l’Ocean indien : mythe ou réalité?” J’ai ajouté dans le prononce oral une partie sur le sucre et d’autres considérations qui ne figurent pas ici.

 

“Monsieur le Ministre des Affaires étrangères, Cher ami
Monsieur l’Attorney Général Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,
Mesdames et messieurs les élus, Monsieur le President de l’Universite, Mesdames et Messieurs les universitaires Chers amis,

Permettez-moi avant tout de vous exprimer le plaisir que j’ai de prendre part à vos travaux et de me donner l’opportunité de partager avec vous la vision qui est la mienne, en tant que parlementaire européen, de la politique commerciale poursuivie par l’Union européenne dans la sous-région du Sud-Ouest de l’Océan Indien.

Je n’ai pas la prétention ce matin de décortiquer l’ensemble des accords existants ou en cours de négociation – j’écouterai sur ce plan les communications des éminents universitaires dont nous avons toujours beaucoup à apprendre. Je veux très simplement offrir le regard politique d’un élu ultramarin au Parlement européen confronté dans son action quotidienne à la schizophrénie qui peut naître entre la défense de l’intérêt général européen, la défense des intérêts des territoires de sa circonscription et la défense et la promotion de la coopération régionale entre les pays membres de la COI.

S’il peut exister des convergences d’intérêts et d’objectifs entre nous, nous ne pouvons nier – au-delà des poncifs habituellement entendues- les obstacles à l’affirmation de véritables échanges égaux entre des îles ACP et des îles qui bien qu’indiano-océaniques n’en sont pas moins européennes.

Cette difficulté renforce l’importance que nous avons à coopérer. Et il nous appartient dans l’approfondissement de la coopération régionale de trouver les solutions, de dépasser des désaccords qui peuvent sembler difficilement franchissables.

La coopération régionale a toujours joué ce rôle historique de facteur de réconciliation et de paix entre des nations qui ont pu, ont, ou pourront faire face à des désaccords diplomatiques difficilement franchissables. Coopérer avec ses voisins, c’est comprendre qu’au-delà des divergences politiques, des discordes territoriales, de la compétition économique, les relations transfrontalières peuvent être le terrain d’une mutualisation des forces pour la valorisation des particularités de chacun.

Notre Océan Indien demeure un carrefour immémorial des grandes aires culturelles de l’Histoire. Tiraillés par les interpénétrations subies lors des prises de possession des terres et des mers par les colonialismes , les rivages de nos territoires ont été lieux de confrontations entre intérêts commerciaux et culturels, devenant alors au cours du XXème siècle le cœur vivant d’un Tiers Monde ravagé par des crises multiples : territoriales, culturelles, politiques, économiques, sociales,…

Les défis qui attendent aujourd’hui le Sud, comme les défis qui attendent notre bassin de l’Océan Indien dans ce sud, sont immenses.

D’un monde unipolaire contrôlé par quelques grandes puissances du nord, l’Afrique, l’Amérique Latine, l’Asie, l’Océan Pacifique, l’Océan Indien ont surgit pour paver le chemin avant-gardiste d’un monde multipolaire où les cartes pourraient à nouveau se trouver redistribuer.

Cette nouvelle donne planétaire vient de loin:
De l’effervescence et du dynamisme de la période postcoloniale où se sont concrétisées les alliances entre les pays et peuples du Sud, a préfiguré les premiers régionalismes africains, asiatiques, latino-américains et sud-sud.
De la mise à bas de l’esclavage puis du colonialisme, au mouvement des non-alignés puis aux BRICS.

Voilà ce que pour moi est l’histoire et la filiation des coopérations que nous avons fait naître et de nos régionalismes.

Voilà donc maintenant près de 20 ans que nous construisons ces nouveaux espaces régionaux d’intégration qui préfigureront l’avenir de nos pays et territoires. Ces organisations régionales que nous construisons nous sont vitales pour non seulement faire face aux grands bouleversements nouveaux qu’entraîne sur tous les peuples du monde, au nord comme au sud, la mondialisation; mais aussi pour ensemble construire un monde qui ne soit pas le simple miroir du Nord. Car au-delà même de l’amitié qu’elles engendrent, et de la paix qu’elles sont capables de durablement générer, bien fondées et construites à notre image les organisations régionales ont parfois la capacité de se révéler être des berceaux de résistance insoupçonnés. Regardez comme l’Afrique soudée en blocs a su résister et faire front aux Accords de Partenariat Économique qu’a tenté de lui faire avaler l’Union européenne. Regardez à contrario comment chacun des États, lorsqu’ils sont en négociations un à un, finissent par cédés. Regardez aussi comme le G 20 constitué à Cancun en 2003 sous l’égide du Brésil, de la Chine et de l’Inde, en vue de constituer un bloc de résistance au sein de l’OMC, a réussi à chahuter le projet de Doha tout comme la suprématie que maintenaient conjointement les États-Unis et l’Union européenne sur la chapelle de l’Organisation Mondiale du Commerce toute désignée pour écrire la nouvelle bible du 21ème siècle.

Les ententes régionales structurées ou spontanées ont donc bien cela de grand et d’intéressant, elles nous permettent de ne plus agir seuls et isolés face aux géants économiques et commerciaux de ce monde, et d’enregistrer des victoires inespérées.

Mais nous avons cependant tendance à un peu trop nous éparpiller, à disperser nos forces en les jetant dans trop parfois d’initiatives, et ne pas nous faire aussi constructivistes que nécessaire.

Si nous prenons les 21 États que regroupent l’Afrique de l’Est, l’Afrique Australe et l’Océan Indien, 5 organisations régionales viennent à se superposer et à s’enchevêtrer entre elles : SADC, COMESA, EAC, IGAD et COI. Certaines poursuivent l’objectif de créer une zone de libre-échange, d’autre une union douanière et monétaire, d’autres encore la solidarité entre les peuples, la défense des intérêts insulaires dans les enceintes internationales, la préservation et la valorisation de l’environnement, l’agriculture, la coopération sociale, d’autres encore visent l’objectif de maintenir la paix et la sécurité.

Si cette capacité à créer de multiples organisations témoigne d’une disposition fortuite et presque naturelle à tisser des amitiés, et que ces multiples organisations peuvent certes être utiles à certains moments : on agit avec celle-ci pour ceci, avec celle-là pour cela et avec telle autre pour telle autre chose. Cette juxtaposition est aussi problématique puisqu’elle donne la possibilité aux partenaires extérieurs de choisir si, avec les fonds de développement qui sont les leurs, ils préfèrent financer telle ou telle organisation en vue des intérêts qu’ils poursuivent. Là encore le cas des APE est révélateur, depuis que l’Union européenne aboutir partout en Afrique à la signature des APE, elle met en parallèle des moyens à disposition des organisations régionales qui poursuivent des objectifs visant à la création de marchés communs, d’union douanières et de monnaies communes. Or nous savons que pour beaucoup d’Etats africains dont les ressources douanières constituent les taxes les mieux établies et établies, es coûts et risques de l’intégration économiques sont élevés : perte de ressources douanières qui représentent près de la moitié des revenus pour certains Etats comme le Mozambique, avec des répercussions sur les services publics essentiels et sans qu’il y ait un mécanisme clair de compensation à l’instar de ce que propose l’Union Européenne. Cette juxtaposition d’organisations régionales visant l’établissement de marché libres de douanes peut aussi créer des problèmes lorsque des pays appartiennent à différentes union douanières.

Cette problématique n’est pas passée sous la vigilance commune, puisque par exemple un projet d’accord tripartite COMESA-SADC-EAC, cherche à extraire les bénéfices perdus du fait de ces chevauchements d’organisations pour en fonder une plus large. Ainsi a été décidé, lors du sommet de Kampala en 2008, d’établir un agenda de travail visant à rapprocher les trois organisations régionales pour harmoniser leurs différentes législations et fonder un marché commun. Le travail continue donc.

De la voix de beaucoup de commentateurs dits “éclairés”, l’intégration dans le commerce mondial et le dynamisme économique seraient les facteurs faisant principalement défaut à l’Afrique de l’Est, à l’Afrique Australe et à l’Océan Indien pour parachever son développement humain et social. Il leur est donc vivement conseillé de travailler sans peine et sans relâche à la création de marchés communs, d’union douanière et monétaire. Voilà la première des priorités toute trouvée pour l’Afrique. Il est aussi souvent répété, pour appuyer cette idée, que ce chemin fut celui emprunté par les États-Unis et l’Union européenne pour construire ce qu’ils sont aujourd’hui devenus, et que finalement se dégagerait de cela une grande loi universelle qui ferait que le libre commerce engendre la paix, le développement et scelle la création des organisations régionales.

Il est cependant à regretter que les commentateurs éclairés oublient bien souvent l’histoire réelle des espaces dont ils sont issus et sur lesquels ils prennent exemple. Ni l’Union européenne, ni les États-Unis ne sont trouvés fondés grâce à la volonté de fonder en leur sein un marché intérieur. Cela fût pour les États-Unis une résultante de la constitution d’une Union d’États indépendants décidés à s’émanciper de pouvoir colonial, et pour l’Union européenne la suite d’un processus ayant avant tout construit des institutions et des ententes qui devaient permettre aux États signataires, les pays fondateurs, d’assurer leur indépendance énergétique et leur approvisionnement en acier par la création de la CECA et par là de créer les premières conditions d’une paix durable entre l’Allemagne et la France, puis est venue l’idée de fonder une communauté économique capable qui serait alors fondé sur un socle de valeur commune et qui s’appuierait sur un marché commun, une politique agricole commune et une politique de cohésion.

Le libre-échange est donc loin d’être l’unique dynamique qui puisse fondé entre des États les conditions d’une coopération et d’une union pérenne et dynamique. Et il faut nécessairement bien plus que cela, l’intégration économique présuppose la volonté d’intégration politique, une volonté d’émancipation conjointe, un socle de valeur commune, un socle de droit partagé, une politique de solidarité commune permettant de réduire les différences de développement entre les différentes régions et territoires de différents pays. Plus dur peut-être aussi, il faut aussi surtout que les dirigeants qui entreprennent un jour d’unir durablement leur État à d’autres se défassent de l’idée de la souveraineté absolue d’un État à l’intérieur de leurs frontières fortuites. L’ordre, la paix, le développement ne sont possibles entre des États que s’ils se soumettent à des lois communes, à des principes, à des règles et à des juridictions communes.
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La levée des barrières douanières et commerciales que vous allez aborder durant toute cette semaine sont aussi devenues un ordre du jour courant pour l’ensemble des États et des administrations du monde. Les barrières douanières et commerciales cèdent peu à peu, et il est aujourd’hui presque certains que ce mouvement n’ira que croissant dans les décennies à venir.

La question qui pour moi se pose donc concrètement aujourd’hui est de savoir comment ces levées de barrières qui préfigureront demain seront faite et par quels autres processus elles doivent nécessairement être accompagnées pour que la seule loi de demain ne soit pas uniquement celle de la marchandisation, que nous savons court-termiste et aussi productrice de nombreuses incohérences et instabilités.

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Au niveau mondial, le commerce intra-régional dépasse nettement les flux interrégionaux. La croissance exponentielle des échanges commerciaux internationaux a souvent pour cadre les régions géographiques parmi lesquelles la région Europe-CEI présente l’intégration régionale la plus poussée au monde, avec une part d’intra-zone qui s’élève à plus de 70 % des échanges totaux depuis plus de quatre décennies, notamment à l’intérieur du Marché unique européen. L’UE, sur la base de cet historique, soutient le modèle d’intégration économique régionale dans le monde, y compris en Afrique en général et dans la région de l’océan indien en particulier. L’échec du cycle de négociations multilatérales à l’OMC (Doha) a également renforcé ce phénomène.

Aujourd’hui, le lien entre développement et libéralisation économique à l’échelle régionale reste un credo peu contesté. Pour autant, le commerce n’est, comme je l’ai déjà explicité, qu’un aspect de l’intégration qui, pour être réussie nécessite d’être basée sur des impératifs politiques (et de sécurité). La libéralisation des échanges qui ne peut constituer une fin en soi peut cependant réussir à participer à l’accomplissement d’un projet plus global, si l’on se donne le réel objectif de le poursuivre. Les Objectifs du Millénaire pour le Développement dans les pays ACP, la paix, la sécurité et le bien-être des populations, en sont des exemples.

En outre, il s’agit de regarder les choses propres à chaque ensemble régional, car il ne peut y avoir de modèle unique et que tout se fonde aussi pour large partie sur les spécificités, les difficultés et l’histoire liées à chaque ensemble géographique.

L’Océan indien est un ensemble à géométrie variable, et peut aller en le pensant loin jusqu’à potentiellement inclure des puissances économiques telles que l’Inde ou l’Afrique du Sud. Il s’étend aussi en pesant à Mayotte et à la Réunion, à la France et à l’Union européenne. Tout cela est constitutif d’une configuration bien particulière et qu’on ne peut extraire pour réfléchir au meilleur moyen de construire une coopération régionale aussi efficiente et aussi inclusive que possible.

Dans ce grand ensemble très large, pour la sous-région du Sud-Ouest de l’Océan indien l’intégration économique est un objectif depuis longtemps affiché, mais cependant force est de constater que le commerce intra-régional reste très limité. Et cette intégration et coopération indianocéanique finit par demeurer un véritable serpent de mer: réunions, sommets, colloques et projets régionaux se succèdent sans parvenir à créer une dynamique réelle.

Dans un cadre plus large, les organisations régionales – soutenues par l’UE – se traduisent par un accroissement des échanges mais cela ne se fait pas toujours en faveur des Etats iliens du Sud-Ouest de l’Océan indien (ex. de Madagascar dans le cadre du COMESA) et les RUP n’y sont pas associés, à l’exception notable de la COI. L’abolition des barrières tarifaires et non-tarifaires correspond à un ensemble de réalités, au pluriel, qui reste donc largement en devenir.

Le manque d’intégration régionale a suscité dans les RUP des économies centrées sur elles-mêmes et la métropole, protégées et dépendantes, avec une faible ouverture à l’exportation et aux importations régionales. Et la zone Océan indien fini par présenter de fortes disparités de développement et des marchés morcelés relativement étroits. Pourtant nous avons tous conscience également qu’il existe pour cette zone un potentiel de mutualisation des ressources et de complémentarités en mesure de favoriser le développement endogène et de limiter pour tous le coût des approvisionnements. Il est aussi fort à attendre dans ce processus de Madagascar qui représente la plus grand île de la zone, et dont le développement économique et social constitue, pour tous, un objectif clef pour l’essor et la prospérité de chacune de nos îles.

Pour ce qui est de la voie des Régions Ultrapériphérique de l’Océan Indien, je crois pouvoir dire qu’il est aujourd’hui nécessaire d’utiliser l’ensemble des fonds dont nous disposer pour approfondir nos relations et nos coopérations. Pour la période 2014-2020 les fonds dédiés à cette coopération on presque doublé, ils sont de 63,2 millions pour le programme RUP-Océan Indien-COI et de 12 millions pour le programme Mayotte-Comores-Madagascar. Les domaines de la coopération sur lesquels nous pouvons ensemble travailler à travers ces fonds sont ceux de la recherche, des NTIC, de la compétitivité des PME, des transports durables, des capacités institutionnelles et de l’éducation.

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Je sais toutes les difficultés que représentent notre plus large union au sein de l’Océan Indien et avec l’ensemble des pays proche de l’Afrique Australe et de l’Afrique de l’Est. Je sais aussi toutes les difficultés d’un côté comme de l’autre que représente l’effort d’étendre cette coopération et cette intégration avec la Réunion et Mayotte. Mais notre essor collectif dépendra aussi pour une grande part de notre capacité à jeter les bases politiques, économiques et solidaires de notre plus large union.

C’est ce que vous avez projeté d’investir cette semaine, les travaux que vous menez serons des plus intéressant et surtout je l’espère des plus fructueux. Aussi j’espère qu’ils donneront lieu à une restitution par écrit de vos contributions, que je serais heureux de recevoir et de lire, pour pouvoir prendre en compte dans mon travail quotidien l’ensemble de ce que vous mettrez cette semaine en lumière.”

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