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Pas 1€ de profit ne doit être réalisé sur la souffrance des personnes âgées dépendantes

Le 28 juin 2022, se tenait à Bruxelles les premières Assises européennes des Etablissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehapd), à l'initiative de notre collègue Anne-Sophie Pelletier.

Je veux saluer le travail d’Anne-Sophie Pelletier, comme lanceuse d’alerte, qui a révélé une maltraitance insoupçonnée des personnes âgées, et poursuit aujourd’hui son combat, par ces Assises européennes des Ehpad, cette fois comme Député européenne. 

C’est une question extrêmement difficile, complexe, que celle de la place des personnes âgées dans notre société et bien sur de leur prise en charge. Une question très difficile depuis la nuit des temps. Vous le savez peut-être que dans les sociétés antiques, la question de la prise en charge des personnes âgées — 50 ans, 60 ans, à l’époque — était déjà difficile. On éliminait purement et simplement les personnes âgées en Sardaigne, par exemple. Vous connaissez cette expression du rire sardonique qui est en fait le sourire face à cette situation où les personnes âgées sont tuées par leurs propres enfants, considérant qu’ils n’en ont plus l’utilité. Et que la déchéance est une déchéance qui n’est pas acceptable. Nous avons toujours eu une difficulté avec la vieillesse. Mais il faut considérer que lorsque la civilisation (ce que l’on appelle « civilisation ») arrive et progresse, elle oblige à la prise en charge la plus élevée des personnes, des enfants, des personnes âgées et des personnes dépendantes. 

Trop souvent, on considère qu’une personne âgée est dépourvue de responsabilités et qu’elle devient un danger pour elle-même

Je veux tordre le cou à un certain nombre d’idées reçues qui parfois créent beaucoup de souffrances. Les personnes âgées ne sont pas des personnes qui ont des problèmes cognitifs a priori. Trop souvent en France, on considère dès le départ qu’une personne âgée est dépourvue de responsabilités et qu’elle devient un danger pour elle-même. Et au prétexte d’assurer sa sécurité, elle se retrouve en Ehpad parfois contre sa volonté. La manière dont nous percevons la personne âgée doit elle aussi être questionnée. 

La deuxième remarque que je veux formuler est que tout le monde est responsable. Tout le monde est démissionnaire. Il y a la responsabilité de l’Etat, bien sûr, et tout un modele économique qu’il faut changer. Mais il y a aussi, je veux le dire très calmement, la responsabilité des familles dans leur rapport avec la vieillesse et la dépendance. 

Nous avons une responsabilité collective dans notre rapport à la vieillesse et à la dépendance

Je viens de l’île de La Réunion et des Outremer. Nous baignons dans l’Océan indien, et nous avons à coté de nous Madagascar, un pays très pauvre. La prise en charge des personnes âgées, qui malheureusement évolue dans un sens négatif, n’a pas grand chose à voir avec la manière dont les personnes âgées ont leur place dans la famille et la manière dont elles continuent à être accompagnées dans la famille, jusqu’à leur dernier souffle. Cela renvoie à beaucoup de questions. 

Oui, les personnes âgées sont, en quelque sorte, mises au ban de nos sociétés. Il suffit de regarder les chiffres sur la solitude. La France est l’un des pays où le taux de solitude des personnes âgées est le plus élevée. La France est un des pays d’Europe où le taux de suicide des personnes âgées est des plus importants. Parce que les aînés ont le moins de lien social qu’ailleurs. 79% ont peu de contacts avec leurs frères et leurs soeurs. 50% n’ont plus de réseau amical actif. 

J’en viens au coeur du propos ; c’est tout un modèle économique qu’il faut changer. Et c’est tout une société capitaliste, en réalité, qui conduit à ce type d’aberration. Dans ces sociétés capitalistes, tout est marchandisé. Les personnes âgées, comme catégorie de personne, ont une valeur marchande. Et seule la rentabilité dans ce modèle est la boussole pour celles et ceux qui veulent tirer le plus grand profit sur la souffrance. 

Nous sommes dans un combat politique qui extrêmement difficile, profond, parce que c’est modèle contre modèle. Choix de civilisation contre choix de civilisation. C’est pourquoi il y a les plus grandes difficultés à penser des solutions dans ce modèle. Il ne faut pas croire que les sentiments de bienveillance, d’humanité, qui pourraient être partagés par tous puissent avancer aussi simplement que cela. Une des choses que j’ai apprise en tant que député européen, c’est que lorsqu’il y a de l’argent à gagner, les rapaces, les vautours sont présents pour prendre leur part du gâteau. Voilà la réalité. 

Dans des établissements à plusieurs milliers d’euros, des repas à moins de 1€ par jour… Tout un modèle économique est à changer

Et cette réalité est une réalité absolument tragique. Elle crée de la souffrance pour les personnes âgées et pour les familles. Et la souffrance des familles est une souffrance qui n’est pas prise en charge. Je ne reviens pas sur la souffrance des personnes âgées. Nous savons tous qu’il y a de la maltraitance, qu’ill y a ces repas à moins de 1€ par jour, quand les personnes paient plusieurs milliers d’euros par an, pour leur parent ou leur grand parent. 

Et lorsqu’une famille se retrouve devant la difficulté de la dépendance, il n’y aucune solution alternative qui lui est proposée. Il y a peut être la prise en charge à domicile. Mais là encore, il faut faire attention parce qu’on sait que les mêmes modèles économiques qui existent dans les établissements privés peuvent être reportés également dans les soins à domicile où tout est comptabilisé, chiffré, a une valeur marchande. Les aides à domicile sont elles-mêmes contraintes dans leur temps. 

Pas un euro ne doit être réalisé sur la prise en charge des personnes dépendantes

C’est ce modèle qu’il faut changer. Il faut le changer à l’échelle de la France. Nous avions fait une proposition lors de la campagne présidentielle : comme dans certains pays, pas un euro ne doit être réalisé sur la prise en charge des personnes dépendantes. Le mettre en place est quelque chose d’extrêmement compliqué. La mobilisation des citoyens des lanceurs d’alerte, des citoyens, des journalistes est importante pour tenter de faire bouger les choses à l’intérieur des Ehpad. Mais cette question est extrêmement difficile. 

Cette question est un angle mort dans les politiques européennes. Je préside la Commission du développement régional. Nous avons en charge la politique de cohésion qui représente 395 milliards d’euros. Nous prenons en charge l’inclusion des jeunes, des femmes, des minorités, des communautés marginalisées. Mais la question des personnes âgées n’est pas prise en charge dans la grande politique de cohésion européenne. Et je pense la journée de travail que nous avons aujourd’hui est extrêmement importante parce qu’elle va nous conduire — ce que je n’avais pas fait jusqu’à présent — à réfléchir sur cette question. Et voir comment à la veille des négociations sur le futur règlement de la cohésion post 2027, nous allons pouvoir intégrer, du côté du Parlement européen cette question. 

La manière dont on traite une personne âgée révèle qui nous sommes

Cette question est centrale, fondamentale ; nous sommes dans une Europe qui vieillit à vitesse accélérée. Les chiffres ont été rappelés : la France compte trois aînés supplémentaires toutes les cinq minutes. Et les Nations unies prévoient d’ici 2050 le doublement des personnes âgées. La population de l’UE est une population qui va stagner autour de 500 millions d’habitants quand la population sera à hauteur de 11 milliards 200 millions d’habitants. C’est un enjeu européen. L’Europe vieillit et doit forcement pouvoir s’appuyer sur les personnes âgées pour continuer à atteindre les objectifs qu’elle s’est fixée. C’est une question civilisationnelle. La manière dont on traite une personne âgée, comme disait Simone Vieil, révèle qui nous sommes. Aucun de nous ne veut porter le visage d’un barbare mais plutôt que nous ayons le visage de personnes humaines dans une société humaniste.

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